Rétrospective d'un cycliste-voyageur à travers le Piémont pyrénéen

Samedi soir 18 sept, départ tardif, un brin de déviation de Bedous sous un ciel lourd, s'éclaicissant à partir du clocher de Lurbe, une petite famille fait sa balade du soir dans les parages : le père a fort à faire pour motiver le petit dernier qui de colère jette son vélo - il n'arrive pas à freiner dans une descente, les deux autres enfants suivent sans difficulté. Le convoi de mon vélo et de sa remorque chargée jusqu'aux oreilles les intigue, échange d'impressions sur le vélo sous toutes ses formes... Poursuite à nuit tombante par la Forêt du Bager.

 

> Bivouac improvisé dans les bois, ou comment planquer une tente violette fluo des années 90. Rosée du matin, démontage mouillé et une fois prêt à partir, arrivée d'un gros 4X4 de chasseur au sanglier avec treuil et phares longue portée : comparativement, fragilité de mon attelage incongru pourtant doté de feux leds clignotants dernier-cri.

Dimanche 19 sept, au matin, des voitures de chasseurs tout le long de la route du Bager. Ciel bleu à Arudy et côte de Louvie-Juzon : obligé de mettre toutes les vitesses à gauche. Ce n'est que le début, tiendrai-je le coup dans toutes les ascensions qui m'attendent pour traverser les Pyrénées ? Et encore ai-je choisi de lézarder tout le long du Piémont. Pont de Bétharram, avenues de Lourdes - interpelé par un prélat en soutane : « au Carmel ! », bonnes sensations dans la côte de Loucrup, puis celle de Bagnères, panorama sur les Pyrénées courtisant le Pic du Midi de Bigorre. Superbe remontée de l'Escaladieu au Château de Mauvezin et surprise de taille à Capvern, pas de redescente : le Plateau de Lannemezan, c'est tout plat ! Poursuite en mangeant du kilomètre dans la lumière du soir.

 

> Bivouac improvisé planqué derrière un champ de maïs, presque du *** car seulement perturbé par une ligne moyenne tension. Le lendemain matin, les batteuses vont bon train dans les maïs alentours, j'ai eu de la chance.

 

Lundi 20 sept, traversée de la Garonne et pose boulangerie avec du très bon pain. Odeur pénétrante et vision au loin d'un panache blanc, ce n'est pas celui d'Henri IV, mais celui de la papeterie de Saint-Gaudens. Divagations entre nationale et piste cyclable avant Saint-Girons aux dépends de l'ancienne voie ferrée. Marre des camions sur la route de Foix : décision prise de musarder par la Grotte et le village du Mas d'Azil, l'Ariège profonde : des placards à tous les coins de rues et une auto avec une sono nasillarde : « demain au village, Cirque Zavatta petit-fils! ». Renseignement pris à l'Office de Tourisme – une hotesse très accueillante - sur le meilleur parcours pour rejoindre Foix : les petites routes du Massif du Plantaurel valaient vraiment le détour avec ses paysages longilignes recoupés de crêts calcaires. Retour à la civilisation à nuit tombante dans la circulation péri-urbaine de Foix : impossibilité de faire du bivouac sauvage.

 

> Bivouac à l'arraché dans le premier camping qui se présente : le Camping du Lac ***, c'est trop ! Super petite pelouse entourée de caravanes et mobil-homes, mais un lampadaire dans l'allée avec la circulation de l'avenue par-derrière la haie, irruption bruyante en pleine nuit de sujets de sa gratieuse majesté dont j'avais repéré les tentes vides, très correctement bourrés. I enjoy the free-wild camping !

Mardi 21 sept, petites routes sous un ciel troublé d'averses jusqu'à Lavelanet, cité ouvrière dont subsiste une cheminée en brique et se projette un écomusée ! Grande route obligée par Belesta et Puivert, du rab de côte sur un revêtement pourri car la route du Col du Portel est fermée pour travaux. Plongée en lacets sur Quillan. Avec la charge de la remorque, la roue arrière du vélo a pris beaucoup de jeu : je recherche une clé à cône chez un marchand de cycle, objectif atteint dans le centre-ville « .Pêche .Chasse .Cycles Aux Loisirs de la Haute-vallée », vitrine bleue d'un autre âge. La patronne désemparée en l'absence de son mari ne connait pas cet outil, elle me tend avec méfiance une clé à molette : « vous savez, avec tous les outils qu'on prête et qui ne sont pas revenus! » Je parviens à réparer ma roue et rends la clef avec une petite pièce. Le sourire revient sur le visage de la patronne, nous échangeons sur le temps à venir en direction de la Méditerranée, en espérant la protection du Canigou contre les brumes marines. Après le Défilé de Pierre-Lys et son fameux Trou du Curé doté d'une plaque « Arrête, voyageur : le maître des humains a fait descendre ici la force et la lumière ! Il a dit au pasteur : accomplis mes desseins ! Et le pasteur des monts a brisé la barrière ! », Axat et ses viaducs ferroviaires désaffectés, je me prépare à l'obstacle de 1ère catégorie du Col de Jau. Je ne parviendrais pas au sommet, il se fait tard. J'avoue faire un kilomètre à pied après un tunnel, c'est franchement raide, le revêtement est dégradé et rien pour bivouaquer dans la gorge. Je remonte sur le vélo à nuit tombante après un pont, l'honneur est sauf.

 

> Bivouac inespéré en bord de cette route sauvage sur un recoin de pelouse plate : le rêve, un chiffre peint en bleu sur le rocher de cette carrière : « 7 ». La Lune est masquée par la montagne. Petit matin clair pour le démontage.

Mercredi 22 sept, échauffement sur une pente moins accusée, rencontre d'une brebis et de trois agneaux échappés d'on ne sait où, puis du berger monté sur un quad pétaradant. Je suis devant les appelant, toujours appuyant sur les pédales « Saï, saï » et le berger vociférant sur ses chiens derrière, irréel ! On se quitte un peu plus haut. Enfin le Col de Jau et la Catalogne : le Canigou clair et la Méditerranée embrumée au fond, une cavalcade de chevaux libres venant m'encercler. Je protège mon chargement de quelque moulinés. Descente sur le riant village de Mosset, les Bains de Molitg dans une gorge de granit rose et la Vallée de Prades. Remontée par Villefranche-de-Conflent marqué par l'architecture de Vauban.

 

> Arrivée au Camping Las Closes de Corneilla, véritable paradis au milieu d'un ancien verger où estivent les chers amis que je suis venu voir du fin fond des Pyrénées.

Dimanche après-midi 26 sept, départ le cœur gros après tous les bons moments passés ensemble avec mes amis, les vergers de Prades comme transition de rêve sous une légère brise léchant les tuiles romanes des hameaux dispersés dans la plaine, un ravitaillement en eau de fontaine à Mosset, dernier village avant la montée sévère au Col de Jau, la Tramontane de face et  de plus en plus fraîche, me couvrant de pied en cap au fur et à mesure de l'altitude.

 

> Bivouac forestier et glacial à 1 km après le Col de Jau en compagnie des cerfs qui n'ont pas arrêté de bramer toute la nuit (ça devait les réchauffer), au petit matin réparation d'un pneu crevé de la remorque traînée la veille à la va-vite dans les ronces d'un ancien chemin pour m'effacer rapidement du regard des automobilistes.

Lundi 27 sept, lutte contre la Tramontane glacée avec quelques interruptions dans les côtes sous le vent, par Sainte-Colombes-sur-Guette, austère village de mineurs, Axat, Quillan, Nébias avec son ancienne route bordée de platanes, Puivert, Lavelanet ; échappée hors de la route à camion vers le château de Roquefixade avec dans le rétroviseur celui de Monségur en vis-à-vis, ce qui fait perdre en chrono et en distance parcourue, mais gagner en paysage et en tranquillité.

 

> Bivouac de fortune après Leychert en compagnie sonore d'une martre dérangée sur son espace privé dans un bosquet ; elle a fait entendre sa réprobation pendant toute la nuit (bien plus tempérée que la veille),

Mardi 28 sept, parcours contre un vent hostile du nord-ouest, frais mais sec. Après le Château de Foix, forte montée par une petite route à l'écart du Col del Bouich et rencontre d'un retraité jovial promenant ses trois chiens – ils ont de la chance d'avoir ce maître ! Un peu de grande route par la Bastide de Sérou face au vent puis détour sur Saint-Lizier et son "Trésor", Lacave et sa roue à eau sur le Salat, Mane (halte au Café du Pont - discussion de comptoir entre un cantonnier et un ancien coureur automobile bien imbibés), une bonne grimpette pour rejoindre les bords de Garonne, Valentine (accueilli par un carillon du soir mâtiné de messe de Noël interminable, litanie de bronze encore plus dithyrambique qu'à Lourdes), en soirée le vent se calme enfin, ce qui est favorable pour le chrono.

 

> Bivouac dans un fourré au Col de Hountérède au bord d'une ancienne voie romaine, avec au loin les vrombissements de l'autoroute Toulouse-Tarbes et les feulements du TGV, ô tempora, ô mores!

Mercredi 29 sept, parcours ensoleillé et vent frais arrière par les ruines romaines de Saint-Bertrand de Comminges, Capvern, l'Escaladieu avec ses deux côtes interminables (en vélo électrique, il paraît qu'on peut recharger les batteries dans la descente pour remonter ensuite - à tester), Bagnères, Lourdes, Bétharram et Arudy, plus de batterie dans l'appareil photo, dommage: pas de photo souvenir du Pic du Midi de Bigorre plâtré de neige sous toutes les coutures. Intermède pastoral et premier contact avec le Béarn (méritant bien l'emblème des 2 vaches) sur la route de Bruges avec un troupeau de blondes qui transhume, bloquant la circulation. L'un des pâtres qui les accompagne m'avertit : « attention, elles sont à moitié folles !  ». Je rie sous cape en voyant ces bovins faire une incartade en piétinant la pelouse fraîchement semée d'un lotissement rural bordé d'une inévitable haie de laurier incapable de les arrêter.

 

> Même bivouac que le premier jour en Forêt du Bager, un hélicoptère de l'armée en exercice de reconnaissance nocturne – je ne sais pas s'il m'a repéré et me vois en Afghanistan me prenant une salve sans sommations à travers la tente. Eclaircies de lune toute la nuit, pluie fine une fois prêt à partir, un chasseur de champignons renfermé sur lui-même me passe devant et s'enfonce dans le bois avec son panier – les coins à cêpes ne sont pas loin, mystère...

Jeudi matin 30 sept, comme il ce doit en Béarn, parcours sous un déluge frénétique de la Forêt du Bager jusque dans la verte Vallée d'Aspe et aussi transition entre le bitume défoncé et tape-cul de l'ancienne N618 avec le ruban de velours d'enrobé lisse de l'actuelle N134 et E7! Dilemme pour cyclistes écolos : masochisme ou hédonisme ? A tout choisir, je préfère me taper les fesses sur des petites routes que de subir l'agression de la circulation d'une grande route qui à la longue pèse sur les nerfs du cycliste. L'important n'est pas la vitesse, mais le contenu : profiter des rencontres et des paysages, l'esprit libre, merci les Pyrénées. Avant d'arriver, pour sacrifier pleinement au rituel purificateur de l'eau tombée du ciel à travers mes os transis, je refis méthodiquement le plein à la Fontaine de Sarrance, de peur d'être en manque jusqu'à Bedous...

 

> Epilogue

Bien arrivé, bien transpiré, bien mouillé, le cul bien tanné, puis repos douillet et du feu dans la cheminée. Est-il utile de préciser que j'ai été accompagné psychologiquement et physiologiquement par un morceau de tomme de fromage mixte vache&brebis de la Vallée d'Aspe à l'aller, et d'un morceau équivalent de tomme de chèvre du pied du Canigou au retour, viatiques essentiels et sûrs car porteurs des saveurs des montagnes que l'on aime et de l'amitié de ceux qui les ont produits, dépassant en tous points les potions imbéciles ingurgitées par les cyclistes aux mollets rasés...